Par Le Monde
5 mars 2025

Michel Barnier : « Nous n’avons pas intérêt à la rupture avec les États-Unis »

Michel Barnier, ancien ministre et commissaire européen, revient sur la relation transatlantique à l’occasion de la présidentielle américaine. Dans une interview au Monde, il souligne l’importance stratégique de maintenir des liens étroits avec les États-Unis, tout en plaidant pour une Europe plus indépendante et cohérente face aux défis globaux.

Michel Barbier, haut fonctionnaire européen influent, expose dans cet article sa conception stratégique des relations transatlantiques et de l’avenir de l’Europe. Son analyse repose sur une lucidité affirmée : l’Union européenne est trop souvent dépendante des États-Unis et doit impérativement s’émanciper, non pas par rejet, mais pour défendre ses propres intérêts.

L’Europe, « vassale consentante » des États-Unis

Barbier constate que l’Europe s’est placée dans une posture de dépendance, notamment en matière de défense, de technologie et d’énergie. Selon lui, les Européens ont trop longtemps sous-traité leur sécurité aux Américains via l’OTAN, ce qui les empêche de se penser comme une puissance autonome. Il fustige une forme de naïveté européenne, incapable de comprendre la logique de puissance qui gouverne le monde. Pour Barbier, les États-Unis sont certes un allié, mais un allié intéressé : leur soutien n’est jamais gratuit, et leur objectif reste la préservation de leur leadership mondial.

Critique de la faiblesse stratégique de l’Union européenne

L’essayiste reproche à l’Europe son manque de vision stratégique. Il regrette que l’UE reste enfermée dans une culture juridique et normative, incapable de se doter d’une véritable diplomatie d’influence ou d’un agenda géopolitique cohérent. Barbier juge cette posture inadaptée face à un monde où les rapports de force dominent. Il plaide pour un renforcement de l’autonomie stratégique européenne, y compris par une réappropriation des politiques industrielles et de défense.

La double illusion : soft power européen et bienveillance américaine

Il démonte deux illusions : d’un côté, la croyance que le « soft power » suffit à asseoir la place de l’Europe dans le monde ; de l’autre, l’idée que les États-Unis agissent toujours en partenaires loyaux. Barbier évoque l’extraterritorialité du droit américain, utilisée comme une arme économique contre les intérêts européens (ex : sanctions sur l’Iran, amendes contre des entreprises européennes). Il insiste : tant que l’Europe ne s’imposera pas comme acteur souverain, elle sera instrumentalisée.

Un appel à la puissance européenne

Face à la montée des rivalités (Chine, Russie, repli américain), Barbier appelle à un sursaut : il faut que l’Europe cesse d’être un « espace » et devienne un « acteur ». Cela passe par l’acceptation de la conflictualité, l’investissement dans le dur (industrie, défense, innovation) et la redéfinition des priorités de l’UE au-delà des seuls enjeux économiques ou climatiques.

Barbier ne prône pas l’anti-américanisme, mais une maturité géopolitique. L’Europe doit sortir de l’adolescence stratégique et affirmer ses choix, même s’ils déplaisent à Washington. Pour lui, seule une Europe forte, capable de rivaliser avec les grandes puissances, pourra exister dans le siècle qui s’ouvre.

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